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DÉCOUVERTE MANGA #62 – MERMAID PRINCE

Si le catalogue de Delcourt/Tonkam a depuis longtemps perdu mon adhésion, la fidélité de l’éditeur à certains auteurs me pousse fréquemment à piocher chez lui. Parmi ces quelques élus :  Kaori Ozaki, laquelle nous avait offert il y a deux ans déjà le superbe Our Summer Holiday, avec lequel je l’avais découverte, et auquel j’avais maladroitement dédié quelques lignes ici. Le mois dernier, elle retrouvait le chemin des librairies avec Mermaid Prince, un volume au format similaire au précédent, à la différence près qu’ici, il s’agit un recueil de nouvelles, et pas d’un récit unique. La chronique devra donc composer avec les multiplicités diverses induites par le caractère composite de l’ouvrage qui, somme toute, trouve dans l’excellence un trait d’union évident.


Fiche Technique

Autrice : Kaori Ozaki

Genre : Recueil / Drame

Éditeur VF : Delcourt/Tonkam

Nombre de tomes parus : 1 (1 fini au Japon)

Prix : 7,99€

Mermaid Prince : Après le mariage de sa sœur, Mugi a déménagé à Okinawa, et connaît quelques difficultés à s’intégrer. Il va rencontrer une fille dans la même situation que lui. C’est là qu’il entend l’histoire de la sirène qui exauce tous les désirs. Les hauts de Pluie et Lune raconte les sentiments compliqués que doit gérer une jeune fille qui a peur des garçons. Tout dérape quand sa meilleure amie se trouve un copain. Avec Jour de neige, on suit un étrange père et son fils qui viennent se réfugier dans une médiathèque.

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En comparant ses œuvres actuelles avec ses toutes premières, plus longues et davantage tournées vers l’action et l’aventure, il semblerait que Kaori Ozaki ait, au fil des années, effectué un travail d’épuration. En effet, ses récits brillent de par leur brièveté, leur densité et leur précision graphique, narrative, et émotionnelle, prédicats qui, combinés, leur confèrent une justesse inconditionnelle.

Dans « Les Hauts de pluie et lune », première histoire du livre, l’autrice dépeint un amour platonique tragique jouant de la médiation des désirs, et convoquant la poésie d’introspections minimalistes et de petits gestes impulsifs. Ceux-ci témoigne d’une maturation certaine dans le talent d’écriture de la mangaka, qui ne laisse pas un dialogue ou découpage au hasard, toujours soucieuse de véhiculer au mieux la profondeur de l’état d’esprit de ses personnages. Ouvrant ainsi la lecture, le récit a une envergure programmatique et annonce le caractère général de l’œuvre, qui joue effectivement de grands effets de subtilité pour éveiller une émotion qui n’a rien d’artificielle.

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En effet, peut-être plus encore que Our Summer Holiday, Mermaid Prince prend garde à ne jamais céder à un tragique grandiloquent. Ainsi, graphiquement, le manga aurait presque des allures d’œuvre de jeunesse -la maladresse en moins- qui pourraient surprendre les lecteurs à la recherche de compositions denses et d’arrière-plans travaillés. En réalité, la pureté des planches relève avant tout d’une volonté d’aller à l’essentiel, de ne rien perdre de la légèreté et de la fluidité qui permettent aux émotions qui font la force des relations humaines qui jalonnent les récits de s’exprimer. La palette d’expressions qu’elle parvient à retranscrire  témoigne de l’expérience de la dessinatrice, et ses mises en scène soignées et immersives achèvent de démontrer toute la valeur esthétique de son œuvre.

Dans Mermaid Prince, Kaori Ozaki compose également autour de motifs récurrents. L’eau, omniprésente dans chacun des trois récits, figure l’atmosphère liquide et nébuleuse qu’elle veut associer au monde de l’adolescence. L’océan apparaît dès lors comme un antimonde, un espace de l’intime, libéré des contraintes du réel. C’est d’ailleurs de lui qu’émerge le merveilleux, avec lequel l’autrice renoue dans la nouvelle éponyme qui clôture le manga.

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Car, bien qu’unis par un même programme esthétique, les trois récits n’en demeurent pas moins différents, permettant ainsi d’effleurer en peu de pages une grande diversité de vecteurs des émotions. La nouvelle éponyme met l’aventure et le merveilleux au service de l’élaboration d’un amour naissant, quand « Jour de neige » s’approprie le trope de la première rencontre et y déploie un symbolisme tendre et délicat. En somme, le manga recèle suffisamment de richesses pour survivre à la relecture, presque nécéssaire pour apprécier pleinement la minutie de l’écriture de chaque histoire.

À noter que, bien que publié dans la collection shônen de l’éditeur, Mermaid Prince est composé de nouvelles parues dans un magazine shôjo. Le parti pris est regrettable, puisqu’il camoufle la diversité du genre, encore trop ignorée en France.

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Mermaid Prince est donc un recueil très réussi, qui témoigne de la maturité d’une autrice  au sommet de son art. D’une justesse constante, l’ouvrage, merveilleusement construit, ne pourra qu’émouvoir amateurs comme néophytes de l’œuvre de Kaori Ozaki.


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